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dimanche 11 octobre 2015

Le vrai patron de EU ?




LE NOUVEAU PRÉSIDENT DE L'UNION EST ARRIVE ET C'EST UN JUGE

  Remplacé par le néerlandais Koen Lenaerts,

 Vassili Skouris a passé douze ans à la 
présidence de la Cour de la justice de l’Union
 européenne, sans avoir la renommée de
 Jean-Claude Juncker ou de Mario Draghi.
 
La question posée est de savoir si l'UE n'a pas 
plus progressé à Luxembourg qu'à Bruxelles,
 Francfort ou Strasbourg.


L’ancien ministre grec et professeur de droit n’a jamais eu la renommée d’un Jean-Claude Juncker ; ses discours n’ont jamais été scrutés à la manière de ceux d’un Mario Draghi.
Et pourtant, il l'a dirigée 12 années durant d’une main de fer l’institution qui constitue avec la Banque centrale et certaines Directions générales de la Commission (« Ecfin », « Marché intérieur », « Concurrence ») le levier le plus puissant du gouvernement européen.


ll est vrai que la Cour européenne cache bien son jeu ! Installée à l’écart du fracas de la politique européenne dans un Duché de Luxembourg où elle vit une vie habituellement discrète, elle ne se fait entendre que dans les formes feutrées et apparemment techniques qui siéent à la justice.
Il y a bien à l’occasion quelques éclairs judiciaires fracassants qui suscitent un intérêt médiatique ponctuel, ou quelques conflits internes qui permettent de lever un coin de voile sur l’institution, mais rien qui permette de comprendre en quoi cette Cour-là n’est pas une cour comme les autres, rien qui indique ce qui fait sa grande singularité : en effet, au contraire de ses homologues nationales et internationales, la Cour de justice ne contrôle pas l’action publique européenne de l’extérieur ; elle est au contraire, avec la Commission et la Banque centrale, le lieu même où se manifeste la politique européenne.
On en a une première idée dans le fait que les multinationales de l’informatique (Microsoft) et du numérique (Google, Amazon, etc.) y mènent aujourd’hui leurs combats les plus acharnés. Dans un domaine où les Etats semblent avoir pris acte de leur incapacité à organiser et à protéger, la Cour fait voir une imposante force de frappe, interdisant le transfert de données personnelles aux Etats-Unis (décision Shrems contre Data Protection Commissioner, octobre 2015), contraignant Google à reconnaître un « droit à l’oubli » des données personnelles (Google Spain, mai 2014), contrôlant les usages que les Etats entendent faire des données de connection (décision Digital Rights, avril 2014), etc...
Et ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres de la capacité politique qui s’est accumulée au fil des années à Luxembourg : au jour le jour, les décisions de la Cour font émerger des règles et des principes européens dans des domaines qui touchent au statut de l’embryon, la brevetabilité des cellules souches, la GPA, l’accès des non-nationaux aux droits sociaux, le droit de grève, les politiques monétaires de la Banque centrale, etc.
En somme, la Cour fait corps avec le « projet européen », pour le meilleur et pour le pire... Elle en accompagne le développement continu en validant par exemple les politiques interventionnistes de la Banque centrale européenne dans les Etats membres « sous programme » (OMt, juin 2015) ; et elle en protège aussi jalousement l’indépendance en opposant une résistance tenace aux velléités d’intervention des Etats, voire même des autres organisations européennes, comme par exemple dans son avis négatif sur l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour le rappelle ainsi avec une belle constance au fil de ses arrêts : elle aussi, est prête à faire, à l'instar de BCE, « whatever it takes », pour sauver le projet européen d’une « Union par le droit ».
Le problème est que ce « projet européen » dont la Cour se fait le défenseur intraitable est, on le sait, profondément déséquilibré.
La Cour de Luxembourg reste en effet d’abord la Cour du Grand Marché dont elle s’est fait au fil des décennies l’infatigable batisseur par l’affirmation continue des libertés économiques de circulation (des personnes, des biens, des marchandises et des capitaux) et de la libre concurrence.
Sa jurisprudence en porte inévitablement la marque de cette grande affaire européenne qui reste aussi sa boussole principale.
Elle peine encore à intégrer d’autres objets de valeur, à commencer par la Charte des droits fondamentaux qui fait pourtant pleinement partie des traités et qui aurait pu enrichir l’espace des possibles juridiques européens.
Et si la Cour prête bien occasionnellement sa puissance de frappe à des causes d’ailleurs souvent oubliées des Etats (non-discrimination, protection des données personnelles, etc.), c’est d’abord parce que ces droits participent de la régulation du Grand Marché.
De fait, la partie reste bien inégale à Luxembourg quand il s’agit de faire droit à des causes aussi diverses que les droits sociaux, les services publics et les libertés fondamentales face au sillon profond creusé par cinquante années d’intégration par le Marché.
Les arrêts Viking, Laval, Rüffert l’avaient du reste rappelé quand, en 2007 et en 2008, la Cour avait fait prévaloir les exigences des libertés économiques européennes sur le droit de grève ou les conventions collectives nationales.
Au final, le pôle judiciaire du gouvernement européen n’a jamais été aussi vivace, et nul doute que le nouveau président, le professeur de droit belge Koen Lenaerts, qui détient d’ores et déjà un record de longévité à la Cour (il y est entré en 1989 !), maintiendra ce cap.
Reste à savoir combien de temps les déséquilibres sociaux et démocratiques propres à cette construction européenne par la voie judiciaire pourront perdurer sans affecter en retour la légitimité du « projet européen » lui-même.

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